Cis

Ils m’attristent, ils m’agacent, ils me mettent en colère, parfois. Mais ils me fascinent, aussi. Peut-être parce que leurs fragilités, leurs contradictions, leurs errements me rappellent les miens. Peut-être aussi parce que je les regarde, avec l’attention et la précision de l’entomologiste, se débattre, s’empêtrer, se justifier. Poursuivre la conversation, répondre à mes questions, tenter d’expliquer. Hésiter, ne plus savoir. Réaliser que la vie a filé et qu’ils l’ont traversée, façonnée, sans trop y réfléchir, entre grands soirs et petites lâchetés, telles des ratures qu’il est désormais trop tard pour effacer. Ils voulaient tout et son contraire. Ils se demandent ce qu’il leur reste.

Ils évoquent la difficulté à dire, à faire face. Est-ce typiquement masculin? Je le crois. Les femmes doutent aussi, davantage sûrement, mais à un moment, elles font face. Eux ne savent pas, ne peuvent pas. Dans leur visage qui se tend quand ils cherchent leurs mots, dans leur fausse légèreté, dans le trouble qui traverse encore leur regard lorsqu’ils posent les yeux sur moi, je lis le farouche désarroi de l’homme mais aussi les angoisses de l’enfant perdu. On ne les avait pas prévenus, ils n’ont pas réfléchi. Maris infidèles, amants désabusés, pères absents ou maladroits, ils mesurent parfois, l’espace d’un instant, l’abîme sous leurs pieds. Ils n’ont jamais appris à l’envisager.

« J’ai merdé, je sais. Mais qu’est-ce que je peux faire, maintenant? »

Je les aime, alors, envers et contre tous, pour la béance qui s’ouvre là, sous mes yeux, reflet éblouissant des vicissitudes de l’âme humaine.

Ils souffrent et font souffrir, souffrent et aiment, souffrent et vivent. Pour les autres, ils rient, paradent, séduisent, s’offrent aux regards, à l’admiration souvent. Moi, c’est eux que je regarde. Avec moi – et moi seule – ils acceptent d’entrouvrir la porte verrouillée de leurs intimités de mâles. Ils disent la difficulté d’être hommes, ou ce qu’ils croient en connaître. Ils peignent les déroutes, les renoncements, les mensonges quotidiens et les échappées. Ils déposent, entre deux pirouettes, le poids des non-dits et des hontes ravalées. Ils dévoilent, en filigrane, leurs égarements, leurs failles, leurs quêtes impossibles et leur terrible solitude.

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